lundi 13 avril 2009

Anecdote - Part II


Si vis Pacem, para bellum
Si tu veux la paix, prépare la guerre




5h00. Mon portable miteux sonne, sans pour autant me prendre par surprise. Cela fait déjà près de 2h que je suis éveillé. Je n'ai presque pas dormi, pas l'envie, plus l'envie. Mes yeux se perdent dans le bleu profond du ciel encore étoilé. Le soleil ne va plus tarder, illuminant bientôt cette terre maudite pour laquelle je me bats pourtant...
Je repense à mon parcours, à ce passé que j'ai forgé, à ces actions que j'ai décidé, à ces raids que j'ai mené. Je retrace en moi-même ce chemin dessiné au rouge du sang et de notre haine, au noir de nos balles et de notre colère. Tout ce destin parcouru pour arriver à ce jour fatidique...

J'ai pourtant commencé tranquillement, dans une famille ni pauvre, ni riche. De l'amour, de l'amitié j'ai connu. Un cadre enviable, envié peut-être, une famille que j'aimais par-dessus tout. Je me souviens de ces après-midi ensoleillées et caniculaires à jouer au ballon, de ces soirées fraîches à contempler l'infinie du ciel...Je me souviens de ces jours avançant trop vite, de cette ignorance bien trop vite perdue, de ses yeux croisés un jour de jeun...Je me souviens des réticences de ma mère, des interdictions de mon père, de mes échappées avec elle dans les champs encore inoffensifs pour découvrir les plus belles facettes de la vie.
Je me souviens de ce temps perdu, de cette fresque si belle et si vite brulée, de ce jour noir obscur...

Sorti à moitié de ma torpeur, je me suis levé, encore accroché par ces lambeaux de passé, par ces couteaux enfoncés indéfectiblement dans ma chair...Je me passe de l'eau sur le visage, espère innocemment à une erreur, un changement de programme...Je me lave, lentement, paradoxalement calme.
Je me dirige vers la grande salle adjacente à ma chambre, aux murs éventrés, troués ça et là, à moitié démolis à d'autres endroits. Mes compères sont déjà là, courbés sur leur repas matinal. Ils se relèvent, me saluent à demi-mots mais leurs yeux expriment une grande fierté, un honneur ridicule et auquel pourtant j'ai prêté serment. Ils me tendent une galette de farine maigre, ainsi qu'un bol de thé. Le repas est frêle, mais je sais parfaitement qu'il me faudra guère plus aujourd'hui...Je me presse pas, je vagabonde en moi-même, sans de pensées fixes, voguant entre souvenirs, cauchemars, convictions, déceptions. Mon repas fini, je n'ai envie que d'une chose....Voir le soleil se lever.

Des soleils levants j'en ai vu, des beaux, des magnifiques, des magiques...Dans ses bras...Ce matin-là aussi...Nous étions tout deux, enlacés, tendrement, sans troubles, dans les herbes sèches et hautes. Après une nuit de communions, comme nous avions alors de plus en plus souvent l'habitude de connaître malgré les foudres de parents respectifs. Nous admirions l'astre solaire dans les couleurs mâtes de l'aube. Sans rien à faire, sans agenda précis, nous étions alors décidés à revenir dans notre quartier pour rejoindre nos familles. D'un pas lent, nous prenions la mesure de chaque seconde, nous étions dans notre nirvana, imperturbable, accroché aux étoiles, tutoyant les anges, touchant le bien-être infini. Mais le coin de ma rue arrivait, et résignés, nous savions qu'il fallait retoucher terre jusqu'à notre prochaine fois. Nous nous somme alors embrassés, pour un au revoir, un ultime au revoir...
Des bruits sourds venant de l'horizon se firent alors entendre. Prémices de l'enfer qui allait s'abattre sur nous, ils se rapprochèrent, pour finir assourdissant. Les minutes qui suivirent ne furent que successions d'explosions, fracas de murs s'écrasant au sol, cries en tout genre, de toute part, une immense confusion s'imbibant au fil des secondes de sueurs froides et de sang. Je garde aujourd'hui que de vagues images, des instantanés d'horreur, de sa main qui échappe à la mienne, de la poussière qui nous enveloppait, du feu qui nous ravageait, de cette vague de débris qui me pris son corps et ôta la vie de son enveloppe charnel...Je me rappelle de l'effroi qui m'assailli, de la peur la plus pure qui m'étripa, de ces secondes accablantes, où, sous mes yeux, elle s'en alla pour ne plus revenir...

Les larmes perlent sur ma joue, comme à chaque fois. Et comme à chaque fois, cette haine la plus profonde émerge, cette haine qui anime la moindre de mes cellules, cette hargne provenant de l'injustice de cette vie maudite. Je baisse les yeux, me rappelle que la vengeance est aujourd'hui venue. J'entre à nouveau dans la maison, pénètre dans la remise, endroit où armes, explosifs et autres munitions sont entreposés. Dans un coin, sur une pile de chargeurs d'automatiques, traîne une boîte en carton léger. Je l'attrape, l'ouvre et observe les vêtements qui s'y trouvent. Je me dis définitivement que c'est comble, une absurde situation...J'ai passé mon temps à ne pas les aimer, puis à les détester, avec le temps à les tuer si cela s'avérait nécessaire ou que cela se présentait, je finirai donc mon parcours dans l'un de leurs habits. Le contenant entrepose, depuis un moment à en constater la poussière recouvrant le couvercle, un ensemble de rabbin. Je commence alors à me revêtir.
Je me sens maintenant mal à l'aise, une gêne me prend, j'ai l'impression qu'une honte me recouvre subitement. Ces habits ne sont pas les miens, et j'ai qu'une envie : les retirer ; je finis néanmoins de me vêtir du veston et du long manteau.

Je reste un long moment seul, seul avec mes souvenirs. Seul avec ces flashs de cette journée d'horreur. J'y ai tout perdu. Femme, frères, sœurs, mère, et un grand nombre d'amis...Les bombes, tombées sur ma rue, par inadvertance selon le communiqué israélien, à touché de plein fouet la grande bâtisse où je vivais alors...Une erreur, une bavure... Surtout une riposte démesurée à une attaque minime de Palestiniens opprimés...Je revois ces interminables jours qui ont suivi, où, un par un, mes proches furent ensevelis. Je me rappelle cette détresse qui me gagna, qui me rongea, que j'ai appris à surmonter, à modeler, à transformer en haine sans bornes pour ces envahisseurs, ces tueurs...Je me remémore mon engagement dans les rangs du Fatah, pour mieux étancher ma rage...Pour arriver ici...

Je crois qu'éternellement, et même dans l'autre Monde, une fois tout cela fini ici-bas, je me poserai cette question, qui me hante depuis le jour noir : Pourquoi ne suis-je pas parti aussi ce jour là ? Pourquoi ai-je été un de ces rares survivants, que les pierres, le feu ou les éclats d'obus n'ont pas abattu ? Est-ce un privilège, une malédiction ?
Mes supérieurs m'ont toujours répétés que c'était la loi d'Allah, que c'était pour mieux le servir, pour me sacrifier plus tard...Et je me suis toujours répété que c'était banal, facile, trop facile...J'y ai cru pourtant, je continue à douter. Je ne suis pas pleinement convaincu qu'il existe une autre explication. Je n'ai rien fait pour en chercher une autre non plus. Je suis simplement resté perplexe sur mon sort. Le résultat reste le même, je suis toujours là, enfin...

Ils sont derrière moi, silencieux. Ils ne veulent rien dire, mais savent que j'ai compris. Une dernière chose à régler avant de partir, et pas des moindres.
Je me retourne, et me font signe, sans un mot. Je les suis jusqu'au cagibi. Je me pose alors sur un tabouret poussiéreux, retire mon manteau. Mes deux frères d'armes commencent alors à accrocher sur ma taille une ceinture d'un autre type. Constituée d'explosifs fait artisanalement, se rapprochant fortement des compositions C-, se répartissant en cinq blocs plastiques, tous reliés à une commande basique de détonateur, la ceinture aura la capacité de raser un grand périmètre et qui sait même, selon où je réussirais à la déclencher, à créer une petite réaction en chaîne.
Il n'y a pas plus inconfortable que de savoir que l'on porte sur soi de quoi se satelliser tout seul. J'en fait la remarque à mes compères, qui, fatalement, se mettent à rire. Je ris aussi...C'est impensable, difficile à croire, mais je ris. A moitié de ma blague, à moitié de nervosité, mais je ris tout de même...Comme avant.

La route menant à la ville est bosselé, gravillonneuse. Nous roulons à vive allure, bien que j'aurais apprécié un rythme moins soutenu. Non à cause de ma ceinture, qui de toute façon n'explosera pas aux mouvements brusques, mais parce que j'aurai aimer admirer les arrières-campagnes vertes et sables, bien attentivement, une dernière fois. Je capture cependant quelques morceaux de paysage, des visages inconnus, des senteurs de cuisine et des rires d'enfants.
La ville est proche. Par sécurité, je suis laissé en banlieue, à moi de faire le reste du trajet seul, en autobus.
Je ne presse pas, je devrais pourtant. Mais je regarde, observe. Je m'imprègne de l'atmosphère latente...Je croise une multitude de regards, de personnes impassibles assises dans le bus, de mères pressés par la sortie des écoles toute proche, de vieux gens, tantôt joyeux, à rire en groupe, tantôt blasés, que la vie ne surprend plus.
L'arrêt est proche et une cohue anime déjà le bus. Chacun veut sortir plus vite que tout les autres. Ainsi sont-ils. Place du marché annonce le speaker. Un lieu rêvé pour un attentat prémédité.
Je pose pied à terre. Respire un grand coup, fixe l'horizon du regard, me détermine l'endroit le plus approprié.
La rue d'en face est bondée, c'est une chance. Passants, étalages, badauds et véhicules en tout genre s'y amassent. Chacun à son affaire, il en est de même pour moi. Je longe la rue du marché, repère un léger bouchon sur une artère à ma gauche. Il n'y a pas mieux. J'accélère le pas, je ne veux pas manquer le coche. C'est ainsi là et maintenant que je veux exploser. Je force encore ma marche, à m'en faire mal aux jambes. Qu'importe, qu'importe...J'arrive au croisement, et dans mon dernier élan, je m'apprête à ouvrir mon par-dessus pour déclencher mes charges...


Une seconde...Ce même espace-temps qui me sépara d'elle...Seconde terrible, seconde fatale, seconde ultime...Plus rien que la colère m'emplit, plus rien que la volonté de me venger, de briser tout ces destins qui m'entourent, tout ces gens qui ont voulu, un jour ou un autre, notre mort. Comme cet homme, assis-là dans sa voiture...Je croise ses yeux, et je vois en lui cette peur profonde et intense, cette même peur qui me tirailla pendant toutes ces années. A son tour de voir la mort en face...

Ils m'ont tout pris, ils nous ont tout pris, ils prendront aujourd'hui ma vie, mais jamais, Ô grand Allah, jamais, ils nous prendront notre liberté...


... ... ... ...

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